LE SENS EN ACTION
Après avoir façonné, avec ses deux frères aînés Thierry et Stéphane, un groupe d’art de vivre spécialisé dans l’hospitalité et la gastronomie premium, Laurent Gardinier a été élu à la Présidence des Relais & Châteaux depuis janvier 2023. Homme de convictions et d’engagement, il se donne pour mission d’accompagner les 580 membres indépendants, adhérents dans le monde, dans la nécessaire mutation environnementale, tout en poursuivant l’excellence de l’expérience client.
BG : Comment vous définissez-vous ?
LG: Avec un ADN et un écosystème d’entrepreneur, je suis animé par l’idée de donner du sens à mon action, avec des valeurs qui me sont essentielles dans lesquelles l’humain est au coeur.
BG : Quel est votre parcours ?
LG: Un double cursus littérature et histoire à Sciences Po et à La Sorbonne et économie et finances à Dauphine.
BG : Si vous n’aviez pas rejoint l’entreprise familiale, qu’auriez-vous aimé faire ?
LG: Je ne suis pas sûr que j’aurais été entrepreneur. J’aurais sans doute fait de la politique et peut être du journalisme, complété par de la recherche en histoire.
BG : On est loin de la mission de Président des Relais & Châteaux.
LG: Au contraire, cette mission me convient parfaitement, c’est la quintessence de mes convictions et de ma volonté d’agir. Nous sommes une association de 580 membres indépendants, dans laquelle chaque décision relève d’une nécessaire adhésion collégiale. Il faut donc convaincre pour entraîner.
BG : Quelles sont les valeurs qui donnent le plus de sens à votre engagement ?
LG: J’éprouve une réelle envie, voire une passion, à évoluer dans nos métiers. Ils mêlent l’humain, l’esthétisme, la culture, l’histoire, le social, c’est extrêmement riche de sens.
BG : Vous considérez-vous comme héritier d’un devoir de poursuivre l’entreprise familiale ?
LG: Non, chaque génération de Gardinier a développé des activités différentes. Mon grand-père fonde la première entité Gardinier dans les engrais, mon père Xavier investit dans le champagne et le vin, avec mes frères nous nous positionnons en acteurs de l’hospitalité et de la gastronomie haut de gamme.
BG : Vous co-présidez de très belles Maisons, que vous avez érigées en marques de référence de l’art de vivre.
LG: Nous rachetons en 2000 Les Crayères à Reims, une très belle Maison que mon père avait acquis 20 ans plutôt et revendue à Danone. Remise en vente nous avons saisi l’opportunité. L’hôtel, Relais & Châteaux, compte 20 chambres et suites, un restaurant doublement étoilé, le Parc, et une belle brasserie. Nous rachetons en 2014 le célèbre Taillevent à Paris, restaurant Relais & Châteaux doublement étoilé. Depuis nous développons « les 110 de Taillevent », une brasserie chic qui joue sur les accords mets et vins, « Les Caves de Taillevent », qui présentent une sélection parmi les plus beaux vins du monde et « les Tables de Taillevent », un service de restauration et de conciergerie pour les entreprises. En 2015, nous rachetons « Le Comptoir du Caviar ». Puis en 2018 Drouant que nous avons restauré et repositionné en un restaurant gastronomique chic et lifestyle.
BG : Comment comptez-vous concilier la double Présidence de Gardinier et des Relais & Châteaux ?
LG: J’ai pris cette décision en parfaite harmonie avec mes frères. Administrateur de l’association depuis de nombreuses années, je connais l’ampleur de la tâche. Le groupe Gardinier est bien structuré, c’est donc le bon moment pour moi de me consacrer à ce qui me comble, la valorisation de l’art de vivre à la française, partout dans le monde.
BG : Pouvez-vous nous présenter l’association des Relais & Châteaux ?
LG: Je préfère parler de mouvement, tant nous sommes animés d’une même volonté de faire et de progresser ensemble. Derrière l’adhésion, il y a un réel sentiment d’apparence et des valeurs communes que j’ai désormais pour mission de valoriser, entouré de vice-présidents experts dans leur attribution, et de manageurs et collaborateurs permanents compétents et dévoués, au total plus d’une centaine de personnes. Nous sommes 580, répartis dans 65 pays, dont 150 en France. Ce label d’excellence rassemble autant de personnalités et de familles, qu’il faut convaincre pour chaque décision.
BG : C’est éminemment politique !
LG: C’est ce qui me passionne et je considère que un honneur et un privilège de pouvoir accompagner l’une des plus belles organisation mondiale d’hospitalité et de restauration premium dans la nécessaire mutation sociétale et environnementale.
BG : Selon vous, que privilégient vos membres entre l’appartenance aux Relais & Châteaux et être étoilés au Guide Michelin ? Y a-t-il une compétition entre vos deux institutions ?
LG: Il n’y a pas de compétition, au contraire une complémentarité. Quand on parle de Michelin, on parle de restauration, quand on parle de Relais & Châteaux, on parle d’hôtellerie et de restauration ensemble ! L’origine de Relais & Châteaux, ce sont des Chefs de talent, installés hors des villes, qui comprennent que pour séduire davantage leur clientèle, il faut disposer de chambres. A l’instar de Georges Blanc, de Régis Marcon, d’Olivier Roellinger, des Troisgros…Relais & Châteaux vit de ce dialogue entre restauration de qualité et hôtellerie de grande tradition de 20 à 50 chambres.
BG : Avoir des étoiles Michelin et faire partie des Relais & Châteaux c’est le graal !
LG: Chez Relais & Châteaux, la table est un critère essentiel, mais pas forcément en étant étoilé Michelin. Hors Europe, nous sommes présents dans de nombreux pays où le Guide Michelin n’existe pas.
BG : L’Association Relais & Châteaux est-elle en adéquation avec les exigences actuelles d’une clientèle haut de gamme? N’est-elle pas vieillissante ?
LG: Ces cinq dernières années, l’âge moyen de notre clientèle est passé de 53 à 48 ans. Nous accueillons plus de trois millions de clients chaque année et nous connaissons une forte croissance d’activité. Pour autant, Il est fondamental de considérer les évolutions sociétales.
BG : Avez-vous un numerus clausus ?
LG : Non, néanmoins nous avons une double problématique. Nous sommes structurés pour accompagner un maximum de 600 membres et surtout les candidats qui répondent à nos 400 critères de sélection ne sont pas légion.
Nous recevons chaque année environ 500 candidatures et n’en retenons qu’une vingtaine, qui correspondent aussi à ceux qui sortent. En parallèle, nos membres et nos délégués permanents, observent, analysent, sondent les bonnes adresses de demain.
BG : Dans cinq ans, qu’est-ce qui vous donnerait envie de poursuivre votre mission en ayant le sentiment d’avoir réussi votre premier mandat ?
LG: D’avoir réussi à convaincre nos 580 membres que le développement durable est une démarche essentielle s’ils veulent continuer à séduire leurs clientèles et leurs collaborateurs.
BG : Comment peut-on le mesurer ?
LG: Avec du relativisme, car on ne peut pas demander à un Relais & Châteaux à 50 kilomètres de San Francisco d’avoir une perception identique du développement durable qu’un membre Japonais, Sri Lankais ou au milieu de la Sologne. Il ne s’agit pas d’avoir un modèle universel pour 65 pays et 580 adhérents, mais de considérer, à travers une liste de signaux, comment on peut être plus économe pour la planète tout en ayant une expérience client équivalente.
BG : La Clientèle semble très en attente si l’on observe par exemple le succès de l’étoile verte chez Michelin. C’est d’ailleurs un critère d’excellence que sont fiers d’arborer les restaurateurs qualifiés.
LG: J’en suis convaincu. Nous devons avoir une réponse à une clientèle exigeante dans des établissements de luxe, mais aussi de plus en plus soucieuse de l’environnement. Surtout si nous souhaitons poursuivre le rajeunissement de nos clients. Il ne s’agit pas de supprimer la climatisation mais de disposer d’une alternative aux générateurs avec du photovoltaïque. Pas davantage de supprimer les voitures pour faire un safari, mais de prendre des véhicules électriques plutôt que diesel et de supprimer le plastique à usage unique. Il faut aussi que nos fournisseurs industriels nous accompagnent dans cette démarche.
BG : Toute cette ambition a un coût considérable et l’économique ne va-t-il pas être un frein majeur pour convaincre vos adhérents ?
LG: D’abord si nous ne le faisons pas d’autres le feront et le mettront en avant. Mais notre marque est un atout considérable. Notre clientèle comprendra les éventuelles augmentations de nos tarifs pour aligner exigence environnementale et hauteur de gamme, afin de vivre une expérience exceptionnelle en bonne conscience. On va se moderniser, tout en conservant nos valeurs et nos exigences de qualité, c’est le prix à payer pour maintenir notre place de leader mondial.
BG : Comment envisagez-vous parallèlement le développement du groupe Gardinier ?
LG : D’abord sur les mêmes critères d’exigence concernant l’environnement durable, par exemple en passant au zéro plastique. Ensuite, en poursuivant le développement dynamique de nos marques de manière organique ou par acquisition. Nous venons par exemple d’ouvrir une nouvelle boutique « les Caves de Taillevent » dans le XVI ème arrondissement à Paris.
BG : Quelle est pour vous la recette du succès ?
LG: C’est de ne pas en avoir, mais d’être aligné avec soi-même. Je suis convaincu que s’il on a des convictions très fortes, qui donnent du sens à sa vie, on ne peut que réussir.
BG : Comment vous ressourcez-vous ?
LG: Je cours et je lis.