Quand la simplicité rencontre un caractère bien trempé, ça éveille forcément la curiosité. Au détour d’un déjeuner divin dans son antre du plaisir culinaire au bord du lac d’Annecy, nous avons discuté avec un Chef qui compte et qui conte…
Fourneaux, télévision et philosophie : Yoann Conte est sur tous les fronts. Avec 2 étoiles Michelin (depuis 2013) et 5 toques au Gault et Millau (depuis 2021) pour son restaurant « La Table de Yoann Conte » à Veyrier-du-Lac, le Chef bien nommé incarne l’excellence de la cuisine française et la personnalité entière de ses illustres représentants. Un personnage haut en couleurs et propriétaire de deux restaurants et d’un hôtel qui s’est livré à nous dans un entretien truffé de sincérité, de confidences et d’humanité entrecoupé de plats admirables dans un cadre rustique et moderne à la fois. Finalement taillé sur-mesure pour le Chef.
BG : Comment peut-on présenter le Chef Yoann Conte ?
Comme un petit garçon de 10 ans qui a commencé à travailler avec son papa. J’ai toujours su faire les choses en observant les autres. Je suis amoureux de la vie, j’aime les gens et j’ai toujours aimé les bonnes et belles choses. Je me suis même forcé à aimer certaines choses étant jeune comme le foie gras ou les grands vins… À mes débuts, j’ai failli me ranger du côté des bistrotiers, aubergistes car le côté sophistiqué au détriment du goût m’a fatigué. Je voulais faire des choses simples et bonnes, et c’est toujours le cas.
BG : On retrouve d’ailleurs cette « simplicité » dans votre cuisine aujourd’hui…
J’ai réussi à conserver cette rigueur pour le goût. On m’a souvent décrié en disant que ma cuisine était trop simple. Quand on fait une soirée charcuterie, fromage, bons vins et bon pain, on dit que c’est simple mais ça ne l’est pas du tout… Tu sais faire du pain et du vin ? Je te donne une semaine, tu peux me faire de la charcuterie ou du fromage ? Le terme est gangrené dans notre gastronomie. La cuisine italienne est dite « la meilleure du monde » mais elle est très « simple » : des tomates rouges gorgées de soleil, de la burrata, de la charcuterie sur une planche d’épicéa avec du genièvre et du romarin… Tout ça n’a rien de simple ! C’est même compliqué de faire simple aujourd’hui.
BG : Si vous deviez résumer l’expérience culinaire dans votre restaurant, que diriez-vous ?
C’est une expérience très psychologique, très cérébrale. On met progressivement le client en confiance avec des produits océaniques, lacustres et paysans pour que le client se dise « ah ouais, c’est du bon produit et c’est bien cuisiné ». De manière générale, je veux qu’on passe un vrai bon moment chez moi avec une cuisine travaillée et créative. On peut toujours dire « c’est moins bien que là-bas », « c’est bien mais il n’y a pas la vue », etc… Peu importe, c’est un bon moment, point !
BG : Pourriez-vous nous présenter le menu ?
On commence par trois amuses-bouche qui, comme leur nom l’indique, doivent amuser la bouche : une bouchée océanique (mouclade, frites), une bouchée lacustre (quenelle du lac à la cardamome) et une bouchée paysanne qui représentent bien la philosophie du restaurant.
BG : Finalement, la seule et unique star de votre cuisine, c’est le produit…
Le produit est toujours la star quand on le respecte. Souvent on me dit « Chef, votre huile d’olive elle est dingue ! », oui elle l’est, parce qu’elle est respectée. Un bon beurre, un bon sel, un bon pain et basta ! Un bon produit, juste cuit à cru et c’est imparable. C’est d’ailleurs pour ça qu’on ne trouve pas de plat « joli » sur ma carte ou alors c’est involontaire. La cuisine, c’est pas là pour être beau, c’est là pour être bon !
BG : On reproche parfois aux grands Chefs à succès de ne plus être vraiment cuisiniers. Que répondez-vous à ces critiques ?
On est toujours cuisiniers mais avec des rôles qui ont changé. Enzo Ferrari ne mettait pas les boulons sur les voitures et Didier Deschamps ne marque pas les buts… Je suis PDG, je fais les paies de 80 salariés, on n’en serait pas là si j’étais cuisinier. Ça m’inquiète toujours car je ne maitrise plus tout, je ne fais plus le pain et la pâtisserie, mais je fais autre chose : les lumières, je dessine toutes mes assiettes, je veille au respect de ma philosophie et de l’essence du lieu… Et je fais très attention, je contrôle tout, je goûte toutes les sauces en début de service. Bocuse disait « j’ai fait sortir les Chefs de leur cuisine mais certains feraient bien d’y retourner ».
BG : Quelle est votre vision de la cuisine actuelle ?
Tout le monde veut devenir unique, mais tout le monde fait la même chose. Et quand on veut faire différemment, on nous critique. Il y a toujours un côté « oui, mais » agaçant. Alain Ducasse a dit : « ça ne peut pas être mauvais vu l’intensité et la réflexion qu’on y a mis ». Il m’arrive de pleurer dans mon resto parce que je ressens ce travail, cette intensité et ce bon stress au sein de mes équipes. À partir du moment où c’est bien fait et avec passion, alors c’est réussi.
BG : Cet esprit de revanche n’est-il pas aussi le moteur de votre réussite ?
Si, et ça me hante. J’étais le petit cancre , le crétin des Alpes, à qui on prédisait l’échec. Donc je suis fier d’avoir prouvé à tous ces types qu’ils avaient tort mais je regrette de ne pas faire ce métier juste par naturalité. L’envie de moucher ceux qui n’ont pas cru en moi est toujours présente. Et après ce sont ces mêmes personnes qui viennent vous féliciter…
BG : Vous êtes un cérébral, Chef ! Il y a du sens dans tout ce que vous faîtes et ce que vous faîtes découvrir…
Je m’efforce surtout de faire apprécier la simplicité et faire en sorte que les gens se rendent compte que les choses les plus simples que nous offrent la terre et la mer sont les meilleures. Le diable est dans l’équilibre des produits. Quand on maîtrise ça, on peut tout se permettre. Donc oui, il m’arrive d’être parfois un peu cérébral mais seulement avant de manger. Quand je mange, je m’en cogne : je mange !